Chronologie_1914-1920

Chronologie 1914-1920: Le refuge hollandais

1914

Début de l’année: est en France

Fin avril: séjourne très probablement à partir de cette date en Hollande jusqu’à la fin de la Grande Guerre.

Espère la visite des Massé; désargenté; il ne peut prévoir un voyage à Paris « car la vie pour [lui] est difficile quand l’on n’a pas un sou. » Il « fait quelques grand pastel », se promène sur les traces de Claude Monet1 et est « très, très curieux de voir [l’exposition d’Odilon Redon à Haarlem2] car [il] l’aime beaucoup. »3
Il est couramment et longuement accueilli chez les Urban. « […] j’ai une vie de prince chez mes amis. Ils sont extraordinairement bien pour moi et quand même j’ai la nostalgie du pays [France]. Oh, au point de vue peinture je n’ai pas de chance. Rien ne me réussit. Je ne peux pas arriver à vendre une étude. C’est terrible alors forcement je suis dans la purée, comme on dit. Il faut que j’attende, car si je n’ai pas d’argent je ne peux rien faire, je ne peux pas non plus retourner à Paris […] Je m’étais tant imaginé/ de faire un beau printemps avec l’argent que j’aurais eu de mes pastel – et rien, personne ici en Hollande ne veut de mes choses. Alors quoi faire […] ».4

13 avril: ne réussit pas son projet d’exposition « car il faut beaucoup d’argent pour les cadres et ça revient très, très chers pour ces pastels »; retourne avec les Urban chez Van Daalhoff, « pense si souvent à Millet quand le printemps arrive, tous les arbres en fleurs » et demande à son ami Massé de lui envoyer le livre sur Millet de la collection L’art De Notre Temps5.6

9 novembre: « […] Je fais ses derniers temps une série de pastels, le portrait de ma sœur [non identifié], dont je te mets une photo et d’autres pastels: la fille [PS 84 ?] et le petit garçon [PS 103 ?] des amis […] »; est fasciné par Van Gogh dont il lit les lettres qui sont « aussi bien en Hollandais qu’en Français et pleines de petits croquis de ses premiers tableaux »; a « lu dernièrement Charles Blanchard, de Charles Louis Philippe »; exprime son inquiétude de la guerre et trouve son unique espoir dans l’art.7

27 novembre: écrit à Massé son désarroi devant la difficulté de peindre; il est profondément attristé par le grand nombre d’artistes tombés à la guerre; il continue à lire les dernières lettres de Van Gogh et « cherche un peu davantage à faire de la figure » et « met [dans la lettre] deux croquis l’un [du] petit garçon et l’autre [d’]une ancienne amie qui a posé, toujours pastel car c’est moins couteux. »; a peur que ses couleurs et ses pastels avec lesquels il « avait commencé à faire la Moisson et le bouquet [deux œuvres non identifiées] » ne soient suffisants mais s’estime « heureux encore qu[‘il] peut faire quelques chose car s[‘il] n’avait pas [ses] amis [il] ne saurait pas ce qu[‘il] deviendrait. »8

1. Claude Monet séjourne quatre mois à Zaandam en 1871 et retourne aux Pays-Bas en 1886. 2. Kunstzaal De Bois, juin-août 1914 ?. 3. PS, LAS aux Massé, [1914], album Massé, p. [28]. 4. PS, LAS aux Massé, [1914], album Massé, p. [27].
5. Cain, Julien et Leprieur, Paul, Millet: 48 planches hors-texte, accompagnées de quarante-huit notices …, collection: L’art de notre temps, Paris: Librairie Centrale des Beaux-Arts, [1913]. 6. PS, LAS aux Massé, Hilversum, [13 avril 1914], album Massé, p. [29]. 7. Philippe Smit 1914. 8. PS, LAS aux Massé, Hilversum, [27 novembre 1914], album Massé, p. [31].


1915

Nostalgique de Paris et de ses amis restés là-bas; approfondit sa connaissance des écrivains et poètes français qui commencent à avoir une influence sur ses œuvres: « Je vais faire mon possible de faire faire une série de photo d’après mes tableaux que j’ai fait ici, [? illisible] je serais si curieux d’avoir ton opinion dessus car j’ai bien changé ces derniers temps, j’ai lu beaucoup de Octave Mirbeau (Farce et moralités) et de Maupassant, et de Renan et surtout les poètes [? illisible] Tristan Corbière, c’est de toute beauté c’est de la poésie/ taillé dans les roches. Paul Fort, Maeterlinck, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé etc. […] ».1 (fig. 1)

Janvier: annonce avec joie aux Massé que ses amis, les Urban, vont déménager pour une maison avec un très grand atelier donnant sur un parc à Amsterdam, espère y travailler davantage et se réjouit de retrouver la ville et les musées, restant en même temps très attaché à la nature qui pour lui dans ces périodes graves « a quelques chose de consolateur »; poursuit ses lectures des poètes contemporains français.2 & 3

16 juin: toujours fictivement domicilié à Paris il est, à compter de cette date, officiellement inscrit en termes de « séjour temporaire » à l’adresse des Urban à Amsterdam.

1. PS, LAS à Massé, Arnhem, [6 novembre 1915], album Massé, p. [32]. 2. PS, LAS aux Massé, [janvier 1915 (datée 1916 de façon erronée par Massé], album Massé, p. [32]. 3. Venant de Hilversum les Urban s’installent en février 1915 à Amsterdam (Oosterpark 89) où ils séjournent jusqu’au 4 janvier 1917.


1916

1er–30 avril: expose 58 peintures et pastels à Amsterdam (fig. 2);1 se plaint de n’être pas compris par les critiques. « […] J’ai en ce moment une exposition de mes peintures et pastels, et si vous savez comme les critiques sont bêtes, toutes les bêtises que j’ai entendues, non, vous avez pas une idée, je mets ci-joint un catalogue de l’exposition, les reproductions ne sont pas extraordinaires et il n’y a pas beaucoup, mais enfin, ça vous donnera quand même une idée ce que je cherche à faire […] ».2

 1. Voir 1916 Larensche Kunsthandel. 2. PS, LAS aux Massé, [avril 1916], album Massé, p. [32].


1917

6 novembre: écrit à son père, évoque de ses dernières œuvres achevées1 et lui fait part de ses pensées sur des peintres et des musiciens en regard d’un article sur Degas envoyé par son père: « […] je n’aime pas du tout Degas […] c’est bien un peintre habile mais c’est pas un peintre de l’âme […] c’est un jongleur pas plus. Mais quand je pense à Vincent van Gogh ou à Greco, oh, ce sont pour moi des Maîtres si grand […] Cézanne très beau de couleurs, un grand constructeur de forme et de couleur, mais hélas pas un fouilleur d’âme […] il y a n’a qu’un, c’est dans la musique, le grand Claude Debussy. Son Art me remue jusqu’au plus profond de moi-même. Quel génie César Franck […] ».2

1. Voir [PS 176] et [PS 174]. 2. Philippe Smit 1917.


1918

22 mai: inquiet pour ses amis Massé et pour la situation à Paris, il est submergé par une profonde mélancolie, il regrette beaucoup de ne pouvoir partager ses pensées sur l’art et décrit à ses amis les choses qu’il aime et qui l’entourent à Laren, exprimant son admiration pour le Greco, « le peintre courroucé de Tolède », Seurat, Vuillard, Rodin et Monet.1

5 novembre: décès brutal de sa sœur Emma dont il était très proche et qu’il a représentée dans de nombreux tableaux.

20 novembre: heureux de la fin de la guerre et du fait que l’Alsace et la Lorraine soient de nouveau françaises, espère voir les Massé en Hollande;  il cherche à retrouver son père dont il n’a plus de nouvelles depuis avril, se lamente sur l’art qui pour lui « est tombé dans une agonie croupissante » et il pense « que même à Paris [il] aurait peu de gens qui [le] comprennent, [mais] comprendre c’est encore rien, car l’art est un mystère qu’il ne faut pas chercher à raisonner. »2

1. Voir PS, LAS aux Massé, Laren, 22 mai 1918, album Massé, p. [34]. 2. PS, LAS aux Massé, Laren, 20 novembre 1918, album Massé, p. [34].


1919

Toujours en Hollande avec la famille Urban à Laren/Blaricum1 où il dispose d’un atelier (fig. 3 & 4), mais commence à organiser des séjours à Paris.

Janvier: demande à son père de chercher de l’argent pour rapatrier à Paris certains tableaux et un atelier pour les stocker et de s’informer auprès de Signac sur « une exposition des Artistes Indépendants ».2

11 février: loge désormais chez Johannes van Kouterik à Hilversum, Utrechts(ch)eweg 160.3

20 avril: est « en train de faire un grand coffre en peinture » [PS 220 ?] et parle d’un projet d’exposition dans le nouvel atelier de René Massé.4

31 juillet: lettre de Hollande: attend avec impatience la visite de René Massé et celle de son père à Laren; arrivée prévue le 16 août; il exprime sa vénération pour l’art français et dit que les années de la guerre « en Hollande ont été un labeur silencieux pour la France« , parlant pour la première fois de son ami et critique Anton Zelling, grand amateur de la musique de Claude Debussy.5

Octobre: travaille à sa Pietà [PS 189], veut avoir des nouvelles du Salon d’automne et des artistes comme Rodin, Vuillard, Marquet, Picasso;6 pense à s’inscrire au salon de la Société des artistes indépendants.7

18 décembre: regrette que son ami René Massé ne puisse venir à Laren pour Noël et lui demande d’envoyer trois de ses œuvres, Bouquet de coquelicots (non identifié), Les faucheurs [PS 83 ?] et les Bouleaux en Automne [PS 92] pour en faire cadeau aux Urban.8

1. Les Urban quittent en janvier 1917 Amsterdam pour s’installer à la Villa de Sparren, Achter de Torenlaan, Blaricum, commune limitrophe de Laren. Bien qu’ils dépendent administrativement de Blaricum, leur vie sociale et culturelle se passe à Laren. Les Urban et le peintre parlent toujours de cette ville où aussi les courriers leurs sont adressés. 2. Voir Jacobus Smit, LAS à Massé, Paris, 14 janvier 1919, album Massé, p. [35]. 3. Hormis le  formulaire d’inscription (registre des gens de maison) (fig. 5) nous ne disposons d’aucun renseignement ni sur l’identité de J. van Kouterik ni sur la raison et la durée de ce séjour à Hilversum. Ce même formulaire dit qu’il est à Huizen lors du recensement du 10 mai 1921. Faute d’autre preuve nous pensons qu’il s’agit d’une simple confusion avec le village limitrophe de Blaricum où il vit officiellement avec les Urban depuis le 4 avril 1921. 4. Mot de PS rajouté à une LAS de Nicolaas Urban à Massé dans laquelle Urban demande de ne pas informer le père du peintre de la mort d’Emma, Laren, 20 avril 1919, album Massé, p. [35]. 5. Voir PS, LAS aux Massé, Laren, 31 juillet 1919, album Massé, p. [36]. 6. Voir Philippe Smit 1919b. 7. Voir Jacobus Smit, LAS à Massé, Laren, [9 octobre 1919], album Massé, p. [37]. 8. Voir PS, LAS à Massé, Laren, 18 décembre 1919, album Massé, p. [38].


1920

Jusqu’à 1926 vit et travaille essentiellement à Laren avec de nombreux séjours dans la région de Fontainebleau ainsi qu’à Paris.

1er janvier: espère pouvoir exposer au salon de la Société des artistes indépendants.1

7 janvier: regrette beaucoup qu’il soit trop tard pour les Indépendants et pense à exposer au salon de la Société nationale des beaux-arts;2 demande à René Massé de se renseigner; n’est pas en phase avec la production contemporaine: « C’est ce que je remarquais quand tu m’as envoyé les Comœdia [illustré ?] que des gens comme Matisse, Van Dongen, Vallotton, etc. dominent. Comme c’est triste, qu’il y a pas une seule figure qui vous donne vraiment une émotion de beauté et de vérité. »3

14 février: annonce aux Massé son passage en France; envoie à Paris trois tableaux: Pietà [PS 189], Légende d’un vagabond [PS 211] et Frère et sœur [PS 174].4

23 février: René Massé: « […] Il a été voir le sculpteur [Paul-Albert] Bartholomé afin d’avoir une entrée chez le peintre espagnol [Ignacio] Zuloaga et regarder ses peintures du Greco. »5

Mars: quitte la rue Malte Brun pour s’installer dans une chambre de service au 10, rue de la Pépinière, Paris, 8e arrondissement.

10 mars: René Massé: « […] Sa visite au peintre Zuloaga, les Gréco. […] ».6

13 mars: René Massé: « […] Causerie sur sa promenade à Barbizon, a vu le petit fils de Millet. Sa visite au peintre Lucien Simon, peintre riche! Déception sur son art, ce n’est pas un amoureux de la Bretagne, son ignorance des légendes. »7

17 mars: René Massé: « […] Il est refusé au salon de la Société nationale des Beaux-Arts. Sa visite à Henri Rivière, homme charmant. Sa visite à Félix Fénéon. »8

21 mars: René Massé: « […] Sa visite chez Vuillard […] Vuillard doit aller à la Nationale voir ses œuvres. ꞌPiéta[PS 189]. ꞌPortraits de Smit et de sa sœur Emma[PS 174]. ꞌLa légende du vagabond[PS 211]. Vuillard doit lui donner une lettre d’introduction pour Claude Monet à Giverny. »9

24 mars: René Massé: « […] Vuillard à la Nationale a vu les peintures de Philippe. Sa non compréhension, trouve cela caricatural, son déroutement. »10

10 avril: René Massé: « […] Sa visite au Peintre Picasso rue de la Boétie. Sa première période – son travail actuel!! retour à sa première période. »11

Avant pentecôte: visite avec les Urban et Anton Zelling les collections Camondo, Etienne Moreau-Nélaton, et l’hôtel Biron; séjour de quatre jours à Barbizon et Recloses; souhaite exposer avec René Massé au Salon d’automne12.13

24 avril: raconte son court voyage en France avec les Urban: « […] tu n’as pas idée comme ils se sont trouvés heureux à Recloses […] nous sommes tous fous de Recloses, Nico va faire tout son possible pour aller habiter là […] » et parle de la visite de Picasso: « […] Figure toi qu’avant de partir [aux Pays Bas] nous avons eu la visite de Picasso, il était très charmant et il nous a demandé surtout de ne pas l’oublier et peut être qu’il va venir ici en Hollande, il se trouvait un peu étrange devant mes toiles mais il aime beaucoup la Piéta […] ».14

24 juillet: s’interroge sur l’art, les principes et les styles, il « ne cherche pas à faire de style », en défendant son approche basée sur la quête de faire vivre l’émotion, « si [elle] est mûre et pensée avec toute la foi que tu as pour l’art, tu dois atteindre à l’œuvre divine », sans oublier la peinture, il « croi[t] que nul n’est plus sensible que [lui] pour la couleur et la forme »; déplore la mode de créer des « nouveautés » et son temps « bourré de formule, principe et tout ce qui s’en suit » et invite Massé à la critique de ses œuvres.15

31 août: annonce à René Massé son passage à Paris et qu’il abandonne l’idée d’exposer au Salon d’automne: « Nous sommes si heureux de pouvoir aller quelques jours à Paris […] notre cher ami Jean [Jan Zondag] vient avec et ainsi que notre chère et grande Marijke […] pour ma part je suis extrêmement heureux car je suis à bout de mes forces, tellement j’ai travaillé ces derniers temps. Et pour le salon d’Automne je ne crois pas que j’exposerai, car au fond à quoi bon? … le succès et toutes ces choses me laissent si profondément indiffèrent. La seule chose ça serait pour la facilité de vendre […] Il me tarde de voir les musées.[…] ».16

9 septembre: René Massé: « Mr et Mme Urban, Philippe ont été reçus par le peintre Claude Monet à Giverny. Ils n’arrivent qu’à 23h.30 […] ».17

15 septembre: René Massé: « Départ de la famille Urban pour Amsterdam, ainsi que de Philippe (Gare du Nord) […] ».18

3-11 octobre: expose à l’atelier de Sparren à Laren;19 vend cinq œuvres.20

Novembre: de retour à Paris où il reste jusqu’au 7 décembre.

10 et 27 novembre: René Massé : « […] il nous donne un pastel souvenir de ꞌSparren » et « […] il signe le pastel ꞌSparrenꞌ qu’il donne en souvenir de mon séjour en Hollande. »21

23 novembre: séjourne à l’hôtel de la Renaissance à Recloses (fig. 6) et demande à Massé de lui envoyer du matériel pour protéger ses pastels réalisés sur place.22

Fin d’année: retour aux Pays-Bas (départ le 7 décembre).23

1. 31e exposition, 28 janvier – 29 février (voir aussi Philippe Smit 1920a). 2. 14 avril – 30 juin (voir aussi Philippe Smit 1920b). 3. Ibid. 4. Voir PS, LAS aux Massé, [14 février 1920], album Massé p. [41]. 5. Massé 1920-1935, p. [1], voir [PS 210]. 6. Ibid., p. [2]. 7. Ibid. 8. Ibid. 9. Ibid. 10. Ibid., p. [3]. 11. Ibid. 12. 15 octobre – 12 décembre 1920. 13. Voir PS, LAS à Massé, [avant pentecôte 1920], album Massé, p. [42]. 14. PS, CPAS à Massé, Amsterdam, [24 avril 1920], album Massé p.[40]. 15. Voir Philippe Smit 1920c. 16. PS, LAS à René Massé, Sparren, [31 août 1920], album Massé, p. [42]. 17. Massé 1920-1935, p. [4]. 18. Ibid. 19. Voir 1920 Sparren. 20. Voir Massé 1920-1935, 9 novembre 1920, p. [4]. 21. Ibid. p. [4] et [5] (pastel non identifié). 22. Voir PS, CPS aux Massé, Recloses, [23 novembre 1920], album Massé, p. [43]. 23. Voir Massé 1920-1935, 7 décembre 1920, p. [5].



FIG. 1 Stéphane Mallarmé, photo Nadar, ancienne collection du peintre.

FIG. 2 Annonce, 1916 Larensche Kunsthandel, Algemeen Handelsblad, 31 mars 1916.

FIG. 3 Villa de Sparren.

FIG. 4 Ancien atelier de Laren.

FIG. 5 Copie du formulaire d’inscription, Streekarchief Gooi en Vechtstreek Hilversum, register van dienstboden 1920-1940.

FIG. 6 Recloses vu de l’hôtel de la Renaissance, PS, carte postale à René Massé, 1920.